Séance 1 : La sécularité dans l’Europe contemporaine : « état des lieux »
Pierre Bréchon a présenté, lors de cette première séance du séminaire, son article publié dans l’Année sociologique (« Sécularisation, théories et empirie en Europe », L’Année sociologique, 2021/2 (Vol. 71), p. 301-336).
Pierre Bréchon a débuté son intervention en évoquant les débats théoriques relatifs à la sécularisation et qui ont traversé la sociologie depuis le début du XXe siècle :
- émergence d’une “sociologie religieuse” qui s’intéresse à la déchristianisation, à partir des années 1920-1940
- la sécularisation, paradigme dominant, dans les années 1960-1980
- critique de ce paradigme dominant à partir de la fin du XXe siècle : les théoriciens évoquent une “désécularisation” (Berger) ; un réveil religieux, conséquence d’une concurrence accrue au sein d’un “marché des religions”, née de l’émergence de nouveaux cultes (Starck et Bainbridge, Iannacone, entre autres) ; retour du religieux (José Casanova). La théorie de la sécularisation demeure pertinente pour nombre d’auteurs, qui évoquent l’autonomisation des individus (Bruce), les effets de la modernisation (Pollack), le développement économique (Norris et Inglehart)
- s’observe parallèlement une recomposition du religieux (Hervieu-Léger), une dévaluation des religions traditionnelles (âge post-séculier de Taylor), une combinaison entre hypersécularisation, désintitutionalisation de la foi, déprivation du croire (Portier et Willaime).
Dans ce parcours théorique, Pierre Bréchon ne manque pas de souligner l’intérêt récent pour les indifférents, alors que “jusque-là, l’irréligion était surtout appréhendée globalement comme un solde entre les personnes religieuses – objet d’étude – et la population totale”.
La deuxième partie du propos du sociologue porte sur les spécificités des religieux et des non-religieux, analyse menée à partir des enquêtes de la European Values Study (EVS) et de l’International Social Survey Programme (ISSP). Parmi les très nombreux résultats présentés, nous pouvons en retenir deux :
- les causes de la plus ou moins forte religiosité des individus : trois variables se distinguent. La première concerne l’éducation religieuse : plus la socialisation religieuse est faible et plus la religiosité d’une personne sera faible. La deuxième a trait au genre des individus : les hommes sont moins religieux que les femmes. La troisième relève du contexte religieux national : la reliogiosité est plus forte dans les pays orthodoxes que dans les pays protestants ou catholiques. Les pays multiconfessionnels sont ceux qui sont les plus sécularisés.
- l’attachement aux valeurs diffère selon le degré de religiosité des individus. Les irréligieux sont “plus actifs dans la contestation politique”, sont plus souvent à la gauche de l’échiquier politique ; ils se caractérisent par une individualisation plus forte, des mœurs plus libérales, une tolérance à l’égard des déviances plus élevée. Le degré de religiosité ne semble pas impacter l’attachement à la démocratie et la défense/critique du libéralisme économique.
Le débat qui a suivi cette intervention a été riche : les questions ont permis à Pierre Bréchon de revenir sur les causes de la religiosité, d’expliciter certaines spécificités nationales en évoquant le cas turc et la situation italienne. Les particularités des mouvements athées, notamment leur demande de reconnaissance juridique, ont été soulignées.
Nous remercions vivement Pierre Bréchon et Claude Proeschel pour cette première séance des plus passionnantes, de même que l’ensemble des participants du séminaire.